Au colloque ODI/ Entretiens de l’information : les réponses aux questions posées par le traitement médiatique des attentats doivent venir des journalistes

Envoyé le 21 septembre 2016

Liberté et responsabilité. Les deux tables rondes organisées par les Entretiens de l’Information et l’Observatoire de la Déontologie de l’Information le 20 septembre 2016 ont placé ces deux principes au cœur des débats. Liberté de la presse, liberté d’informer et liberté d’être informé. Responsabilité des journalistes envers le public, qui prime sur toute autre pour l’informer en le respectant, responsabilité aussi vis-à-vis des victimes. Mais tous les intervenants ont reconnu qu’il ne peut y avoir de règles intangibles sur les conduites à tenir, que cela relève au cas par cas de l’analyse collective de chaque équipe rédactionnelle.

Au fil des échanges, quelques « bonnes pratiques » se sont dégagées. Il n’est pas vain d’inviter à revenir aux fondamentaux du journalisme  (aller sur le terrain, être au plus prêt de l’évènement,  identifier les sources, recouper, rechercher le contradictoire) quand parfois ils sont oubliés dans l’urgence de la couverture de tels événements. La nécessité de prendre du recul en toute circonstance, de garder son sang-froid sur le terrain comme à la rédaction ou en direct à l’antenne a été rappelée, certains intervenants insistant sur l’importance de ne pas se laisser emporter par l’événement ni, comme on l’a vu cet été, par les obsessions du moment. Confier ces reportages et directs à des journalistes expérimentés est une façon de limiter les risques d’emballement et d’erreurs. Protéger les journalistes contre l’usure physique et psychologique qu’engendre l’exposition continue à des situations ou des images stressantes est aussi une nécessité.

Les médias traditionnels sont là pour confirmer l’info

Concernant les réseaux sociaux, sujets de la première table ronde, il ressort des témoignages à la tribune qu’ils sont bien incontournables. Pour plusieurs intervenants « le journaliste n’est plus la personne qui annonce un fait mais celle qui le confirme ». Et un autre d’ajouter : »les réseaux sociaux ont gagné la bataille pour être les premiers sur  l’info, mais ceux qui vont gagner au final sont ceux qui peuvent contextualiser« . Bref les médias « institutionnels » conservent une crédibilité et une légitimité pour confirmer, trier, hiérarchiser les informations.
Il y a toujours des choses instantanées et des choses fortes à trouver sur ces réseaux et il faut travailler avec eux dans ces situations de tension. C’est une source potentielle, mais ce qui est lu ou vu ne peut être diffusé tel quel. Il faut privilégier ce qui a une signification éditoriale. La source première d’un post doit être identifiée et recoupée. En outre, il faut avoir conscience que la personne qui intervient sur Twitter n’est pas forcément celle qui est sur place, et donc prendre garde au témoin « secondaire » qui tweete que quelqu’un lui a dit quelque chose et devient ainsi une source, alors que  c’est le témoin « primaire » qui a de l’intérêt.

Réseaux sociaux et information: Jean-Marie Charon-Denis Carreaux-Anne Kerloc’h-Grégoire Lemarchand-Nicolas Vanderbiest- Sylvain Desjardins

A chaud, les réseaux sociaux permettent aussi aux médias de démentir immédiatement de fausses informations, de faire des points réguliers de la situation, de donner des informations pratiques comme les numéros d’urgence. Ils sont ensuite des outils d’enquête, qui ont permis par exemple à Nice Matin de retrouver des témoins ou des acteurs du drame du 14 juillet (par exemple le scootériste qui a tenté seul d’arrêter le camion).
Certaines rédactions ont élaborés à froid une « procédure attentat », répartissant à l’avance les rôles et notamment les chaines hiérarchiques de contrôle (par exemple on ne diffuse pas une information policière qui n’est pas validée par les spécialistes police-justice), prévoyant de mettre leurs flux sur les réseaux sociaux « en configuration d’urgence » , en bloquant les automates qui y insèrent des informations décalées et légères.
Autre apport cité des réseaux sociaux : donner une mesure de l’émotion exprimée par le public, pour éventuellement en faire ensuite un article. On notera cependant que le public ne peut se réduire aux usagers des réseaux sociaux, et que le journaliste doit se garder d’être à son tour pris par l’émotion qui s’exprime sur ces réseaux.

Car la parole se libère depuis quelque mois, pas forcément dans le bon sens – et pas uniquement  sur les réseaux sociaux. Cela doit conduire à une responsabilité vigilante des rédactions sur les commentaires postés sur ces réseaux, qui, contrairement à ceux rédigés sur le site d’un média, ne peuvent pas être fermés a priori. Enfin, l’analyse fine de l’origine de tweets un tel ou tel sujet démontre que les phénomènes d’orchestration des commentaires et de manipulation par des groupes politiques sont fréquents.
Dernier constat fait au cours de cette première partie : il faut aider les journalistes de terrain et de desk contre l’usure physique et psychologique de ces journées de tension extrême, où  la tension est extrême pendant plusieurs jours; eux voient les photos inmontrables qui circulent sur les réseaux sociaux.

Écouter la table ronde 1 : Interférences dans le circuit de l’information : les réseaux sociaux et les images amateurs (sources, vérification, diffusion). Animation Jean-Marie Charon, avec : Denis Carreaux, directeur de la rédaction de Nice-Matin, Grégoire Lemarchand, équipe des réseaux sociaux à l’AFP, Anne Kerloc’h, responsable des réseaux sociaux de 20 Minutes, Sylvain Desjardins, correspondant de radio canada à Paris, Nicolas Vanderbiest, université catholique de Louvain

Les journalistes doivent entendre ce que dit le public

Le sujet de la seconde table ronde était plus controversé sinon plus polémique. Le public et le personnel politique s’est en effet emparé avec passion de la question de l’image des victimes et de l’anonymisation des auteurs d’actes terroristes. Chacun y est allé de sa proposition, y compris l’idée de frapper de 5 ans de prison et 75000 € d’amende toute publication  du nom ou de l’image d’un terroriste non autorisée par le ministère de l’intérieur  !

pendant la 2e table ronde

Débat Que nommer ? que montrer ? : A la tribune : Fethi Benslama – François Ernenwein – François Jost – Gérôme Truc – Marie-­‐Laure Augry –

Ces excès ne doivent pas conduire les rédactions à se boucher les oreilles. Les journalistes doivent entendre ce que dit le public, de plus en plus sensible à ces questions, souvent saturé, notamment dans le cadre de l’information en continu, par la diffusion ad nauseam d’images d’attentats ou de celles de leurs auteurs. Il faut veiller à rester dans la limite du supportable avec des images respectueuses des victimes et de ceux qui les verront.  Cependant, le journalisme doit refléter la réalité et il faut aussi « montrer l’importance de l’horreur ». Nice Matin a ainsi choisi le 15 juillet de publier en une une photo des corps recouverts de draps mortuaires sur la Promenade des Anglais. Il ne faut pas basculer dans l’émotion ou le voyeurisme, encore que ce qui choque varie avec le temps et l’espace. Le choix de montrer ou pas ne peut jamais être coupé du contexte et la façon dont les images seront reçues, a t il été souligné . Ainsi la presse espagnole a diffusé en 2004 des images très violentes des victimes des attentats islamistes de la gare d’Atocha  parce que depuis plusieurs années elle avait décidé de ne pas cacher au public ce qu’était la réalité des attentats de l’ETA qui frappaient alors l’Espagne. Il est essentiel également de s’interroger sur les conséquences de la publication sur les personnes représentées. Pour certains ce doit être la clef  (« la liberté de la presse s’arrête au droit des victimes » a t il été dit). Pour d’autres il faut tout montrer en s’obligeant à une certaine distance.

Autre désaccord, à propos de la place donnée aux auteurs d’attentats. La demande de mort médiatique est forte , comme l’atteste ce courriel adressé à une chaîne de télévision qui explique que « masquer  les identités des terroristes revient à leur enlever un peu d’humanité « . La demande d’une mort médiatique cacherait-elle une autre demande inexprimable ?  Quoiqu’il en soit, deux approches se sont opposées. La dimension d’être vu et reconnu par le monde entier est un des ressort du passage à l’acte, pour la première école ; c’est une erreur de penser qu’un terroriste décide de se tuer pour accéder au quart d’heure de gloire wharolienne, pour la seconde. Les deux thèses ont été présentées.  Sans que le débat soit tranché. Pour les journalistes, la réalité est plus triviale : dire qui a fait quoi , où et quand est la base de leur métier, a-t il été rappelé depuis la salle. Et ce qui a sans doute rapproché les points de vue est l’idée que le problème n’est pas tant  l’anonymisation que la déshéroïsation des terroristes.

Davantage de lieux de débats public/médias

En tout cas, la décision de faire ou de ne pas faire quelque chose (montrer, nommer)  ne peut être laissée à l’appréciation de chacun :  elle doit être posée par la hiérarchie après débat dans la rédaction. La secrétaire d’Etat chargée de l’Aide aux victimes, Juliette Méadel, n’a pas dit autre chose quand elle a fait le point des travaux qu’elle mène sur ces questions, indiquant que la solution doit venir des journalistes et des rédactions mais pas des politiques. Elle a cité l’exemple de chaines de télévision qui après réflexion ont décidé de ne plus passer que des photos d’identité des auteurs d’attentats, de ne pas les mettre en titre, en fond d’image derrière un présentateur ou dans un habillage ou une bande promotion. Pour elle , la question ‘ »comment fait on ou ne fait on pas le jeu des terroristes est une question politique autant qu’éthique » . Propos qui sans doute s’adressait bien au delà de l’assistance de ce colloque.

Écouter le table ronde 2 : Faits, victimes, auteurs d’attentats : que nommer ? que montrer ? Animation Patrick Eveno – Discutante Sophie Jehel, maîtresse de conférences à l’université Paris 8, avec : Marie-Laure Augry, médiatrice des rédactions de France 3, Fethi Benslama, psychanalyste, professeur à l’université Paris 7, Thomas Dautieu, directeur adjoint des programmes au CSA, François Ernenwein, rédacteur en chef à La Croix, François Jost, professeur à l’université Paris 3, Juliette Méadel, secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, Gérôme Truc, sociologue, chargé de recherches au CNRS

Le débat est utile. Le public le demande et on peut regretter qu’il n’existe encore, tous types de médias confondus, que 10 médiateurs dans la presse française, que des associations comme l’ODI qui ont vocation à organiser des échanges entre journalistes, éditeurs et public soient encore boudées par de grands médias. Mais les choses évoluent. Des leçons sont tirées. Nice Matin note par exemple une prise de conscience collective depuis juillet, un souci encore plus fort de vérifier et de recouper, d’avoir un traitement plus respectueux des victimes et davantage de recul. En un mot, dit son directeur de la rédaction « il y a plus de réticences qu’avant à foncer sur le traitement d’un fait divers ». Un magistrat présent dans le public a plaidé pour « une éthique de l’auto limitation, que nous partageons tous en démocratie, pour faire reculer le terrorisme« . On préférera ici parler d’éthique de la responsabilité. Tant il est vrai que si journalistes et médias ne s’occupent pas de leur déontologie, d’autres le feront.
Pierre Ganz (vice président de l’ODI pour le collège journalistes, chargé de tirer les conclusions des débats)

 

 

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