La réflexion de l’AFP après le Brexit et l’élection de Trump

Envoyé le 23 janvier 2017

Tous les médias, nationaux comme internationaux, ont vu leur pratique du journalisme questionnée par la victoire des partisans du Brexit en Grande-Bretagne, puis par l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. L’AFP a consacré, comme tous, de gros efforts à la couverture de ces deux événements. Nous ne renions pas notre couverture : nous avions bien perçu une certaine impopularité d’Hillary Clinton et étions partis à la rencontre des électeurs « cachés » de Donald Trump ou des citoyens britanniques en colère.

Et pourtant, ces scrutins nous invitent à l’introspection, car ils nous rappellent brutalement deux vérités cruelles. D’abord que jusque dans les démocraties anciennes et bien ancrées, la vérité factuelle n’a plus rien de sacré ; ensuite que la voix de ce qui était encore hier le quatrième pouvoir ne porte plus ; une part croissante de la population ne s’informe plus à travers les médias.

Au lendemain de l’élection présidentielle américaine, nous avons lancé une réflexion dans toute la rédaction : comment continuer à rendre compte d’une réalité politique dont les repères connus vont en s’effaçant ? Comment continuer à s’adresser à tous, à exercer auprès de tous notre mission d’informer ? En somme, comment mieux entendre, et comment être mieux entendus ?

Nous ne partions pas de rien : nos règles de bonnes pratiques, d’impartialité, de mise en contexte et de recherche objective de la vérité des faits ont, par exemple, été réitérées et révisées dans un document détaillé paru il y a moins d’un an. Notre compréhension des réseaux sociaux est, elle, le résultat reconnu d’un travail entamé il y a déjà plusieurs années.

Mais à l’ère nouvelle et surprenante de la « politique post-vérité », il nous fallait aller plus loin. Et il fallait que nos débats débouchent vite sur du concret, alors que d’autres échéances électorales s’annoncent, à l’issue tout aussi incertaine que celles de 2016. Une adresse mail, posttrumpbrexit, a été immédiatement ouverte pour recueillir, en toute liberté, les réflexions et témoignages de tous les journalistes qui le souhaitaient. La discussion s’est poursuivie lors d’un séminaire. Dernière étape –provisoire !-, une note rédactionnelle a été diffusée dans les premiers jours de janvier 2017.

Capter la réalité d’un pays et saisir la dynamique d’une campagne 

Ce document interne compte sept chapitres. J’ai souhaité partager in extenso sur ce blog les deux premiers , intitulés « Impartialité et prudence »  et « Diversifier les sources et les points de vue » (voir ici Extraits du document interne de l’AFP). Que chacun se fasse sa propre opinion sur des recommandations qui, pour émaner de la direction et de la rédaction en chef centrale de l’Agence, n’en reflètent pas moins les interrogations partagées par toute la rédaction.

Plusieurs autres points de la note concernent également notre capacité à capter la réalité d’un pays, saisir la dynamique d’une campagne :

. Notre présence sur le terrain a été très dense lors des épisodes britannique et américain, des cités industrielles des Midlands à la Bible Belt fondamentaliste, des mines en déshérence de la Virginie-Occidentale aux banlieues proprettes du Grand Londres. Notre réflexion conforte cette orientation, avec l’idée de rester plus longtemps sur place quand c’est possible, voire de ne « rien ramener » si l’idée initiale s’avère moins riche que prévue.

. nous rappelons nos règles d’utilisation des sondages, extrêmement précises, et en les corroborant mieux par le terrain et/ou des commentaires d’analystes – et non pas des sondeurs.

. Nous devons approfondir la diversité du recrutement, alors que les médias en général se voient reprocher de recruter dans un unique « moule » sociologique. L’AFP, dont la palette de pas moins de 80 nationalités est unique, mène déjà des efforts depuis plusieurs années pour ouvrir ses portes à des profils différents : création de la Bourse AFP pro, développement de l’apprentissage, embauche de journalistes locaux au siège de plus en plus fréquente…

Lutter contre les rumeurs et les « fake news »

Par ailleurs, pour intéresser les millennials, pour tenter de retrouver les lecteurs de tous âges qui ont déserté la presse au profit de leur fil Facebook, pour faire en sorte que la vérité des faits retrouve son importance face aux rumeurs et « fake news » :

. Nous devons multiplier les formats percutants, la production vidéo, l’infographie, les blogs tels que nos « Making Of » …

. L’écriture et les titres, qui doivent prendre en compte la consultation de plus en plus massive de l’information sur les téléphones mobiles, doivent être plus que jamais concis et clairs.

. Nous ne cantonnons pas le fact-checking à des encadrés, mais intégrons des éléments de cette recherche dans toute notre production. Là encore, la note insiste sur une pratique qui est déjà celle de l’AFP.

. Nous développons également des formats explicatifs, afin d’aider le lecteur à séparer les faits avérés du bruit des réseaux sociaux. Enfin il reste primordial de prendre de la distance et de s’efforcer de donner du sens aux informations factuelles.

Michèle Léridon – Directrice de l’information de l’AFP

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