La Cour Européenne des droits de l’homme condamne la France pour ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression

Envoyé le 22 janvier 2016

L’évocation dans une enquête télévisée d’une responsabilité éventuelle d’un haut dignitaire saoudien dans le financement d’Al Quaida n’aurait pas du être condamnée par la justice française vient de dire la Cour Européenne des droits de l’homme. Cette décision de la CEDH conforte la liberté d’expression des journalistes.
Le film en cause, diffusé par France 3 en 2006, avait été attaqué devant les tribunaux pour diffamation par le prince saoudien Turki Al-Fayçal, cité dans le reportage comme une des personnalités soupçonnées aux Etats-Unis par les familles des victimes du 11 septembre d’avoir financé Oussama Ben Laden.

En 2007 en première instance, en 2008 en appel, la justice française avait condamné France Télévision pour avoir « manque au devoir élémentaire de prudence et d’objectivité » et « pour parti pris dans un habile montage« . En 2009, la Cour de Cassation confirmait la décision de la cour d’appel de Paris qui selon elle avait « à bon droit refusé [aux journalistes] le bénéfice de la bonne foi ».

La juridiction européenne prend l’exact contrepied. Elle ne se prononce que sur le fait de savoir si la justice a fait preuve d’une ingérence excessive dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.En effet, la Convention et la jurisprudence de la CEDH établissent que « la marge d’appréciation des autorités nationales se trouve ainsi circonscrite par l’intérêt d’une société démocratique à permettre à la presse de jouer son rôle indispensable de « chien de garde « .

Analysant les faits, la CEDH souligne que le reportage donnait bien la parole au prince Turki Al-Fayçal et que la journaliste « a pris une certaine distance avec les différents témoignages en utilisant le conditionnel et en présentant le Prince Turki Al Faysal non pas comme un « soutien », mais comme un « présumé soutien » d’Oussama Ben Laden ». Elle ajoute qu’elle avait une « base factuelle » pour le faire. Enfin , à propos du montage mis en cause , elle écrit qu’ « il n’appartient pas aux juges de se substituer à la presse, écrite ou audiovisuelle, pour dire quelle technique de compte rendu les journalistes doivent adopter ».

Les juges européens considèrent donc sans fondement les peines prononcées par la justice française. Ils ajoutent que même modérées ses décisions sont des sanctions pénales et que cette  « atteinte à la liberté d’expression peut avoir un effet dissuasif quant à l’exercice de cette liberté ».
La CEDH condamne donc la France pour « une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d’expression des intéressés, qui n’était donc pas “nécessaire dans une société démocratique” au sens de l’article 10 de la Convention »

lire l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : CEDH AFFAIRE DE CAROLIS ET FRANCE TELEVISIONS c. FRANCE